SEIGNEURS DE CANY ET DE SES DEPENDANCES

Les seigneurs de Cany

    Le titre le plus ancien qui nous fasse connaître la consistance de la seigneurie de Cany remonte à 1372. Deux ans auparavant, le 14 mai 1370, le roi Charles V venait d’échanger avec ses cousins les ducs d’Alençon et du Perche, contre le château et la châtellenie de Joscelin en Bretagne, les châteaux et châtellenies d’Exmes et de Cany-Caniel en Normandie.

    La seigneurie de Cany est désignée sous le nom de Cany-Caniel, à cause du château fort construit près de Cany, pour défendre du côté de la mer l’entrée de la vallée de la Durdent. Ce château reçut le nom de Caniel, ou petit Cany. Il était déjà en ruines au XVIe siècle, lorsque la baronnie de Caniel fut formée, comme nous le verrons, avec une partie des domaines de la seigneurie.

    Charles V, en abandonnant par échange à ses cousins d’Alençon les châtellenies d’Exmes et de Cany, y ajouta 2 000 livres de rentes à asseoir sur les dépendances de chacune de ces châtellenies. Le procès-verbal d’assiette de 2 000 livres de rente attribuées à Cany-Caniel, fut dressé en 1372 par des commissaires royaux. Il est précieux pour nous, parce qu’il nous renseigne sur la composition de la seigneurie de Cany à cette date de 1372. Elle comprenait :
1° Le château et la châtellenie de Caniel avec les terres qui en dépendaient, dont le détail n’est donné que dans des aveux postérieurs ;
2° La justice haute, basse et moyenne ;
3° Les droits de fouage, tiers et dangers, de patronage, etc.
Les revenus de ces trois articles ne s’élevant qu’à 1 400 livres, on y ajouta, pour former les 2 000 livres :
4° Les sergenteries royales de Cany et de Canville, dont le revenu n’était que de 209 livres, ce qui obligea d’asseoir le reste sur la vicomté de Falaise.

Les sergenteries de Cany et de Canville s’étendaient sur 56 paroisses, 34 pour la première et 24 pour la seconde. Celle de Cany comptait 1 331 resséants (familles ou feux), dont 658 dépendaient du roi et 673 d’autres seigneurs ; celle de Canville, 580, dont 409 au roi et 171 à diverses juridictions. Le revenu de ces deux sergenteries produisait, comme on vient de le voir, 209 livres, en 1372.

Quarante ans plus tard, la sergenterie de Cany-Caniel passa, durant l’invasion anglaise, aux mains d’un chevalier de cette nation, nommé Christophe Curban ou Curwen. Il rendit aveu le 12 août 1419, pour cette seigneurie, au roi d’Angleterre. Ce document fournit le détail des domaines, droits et rentes qui le composaient. Nous allons en donner l’analyse succincte :

A cause de la terre et seigneurie de Cany-Caniel, appartiennent à Christophe Curwen :
1° Le patronage, ou droit de présentation, de Saint-Martin-de-Canville, de Notre-Dame-d’Anglesqueville-la-Bras-Long, de Notre-Dame-de-Flamanville et de la chapelle de la maladrerie de Cany (chapelle Saint-Thibaud).
2° Le château de Caniel , chefmois de la seigneurie, avec la justice et juridiction ;
3° Des terres, bois, pâtures, rentes en deniers, grains, oiseaux, prés, moulins, moutures, rivières, corvées, coutumes, foires, marchés, prévôtés, fiefs dans les paroisses de Cany, Canville, Angiens, Anglesqueville, Drosay, Hotot-Lauvray, Fultot, Doudeville, Ouville-l’Abbaye, Criquetot-sur-Ouville, Yvecrique, Amfreville, Harcanville, Routes, Carville, Robertot, Houdetot, Bourville, Autigny, Héberville, Gonseville, Estalleville, Benesville, Baudribosc, Grémonville, Prétot, Herville, Veauville-Lesquelles, Admesnil, Grainville-la-Teinturière, Bosville, Flamanville, Sasseville, Ocqueville, Crasville-la-Mallet, Bec-de-Mortagne, Baigneville, Claville, Ouainville, Gueutteville, Berreville, Cailleville, Vicquemare, Saint-Wast-Dieppedalle, Fontaine-le-Dun, Reuville, Ouville-la-Rivière, Offranville, Hotot-Saint-Sulpice, Héricourt et Sainte-Colombe.
4° Le droit de fouage de trois en trois ans, le droit de jauge, de poids et d’aune dans les villes et marchés, le droit de visite et d’appréciation des boissons, pain, vivres et autres denrées ; enfin le droit de tiers et dangers dans les bois des sujets de la châtellenie, quand ils sont mis en vente.
Outre les droits appartenant directement au seigneur de Cany-Caniel, de lui relèvent plusieurs tenanciers nobles, à cause des héritages qu’il possède dans sa mouvance, voici les noms des principaux : Jean de Calleville, Jeanne d’Ouville, Jean de Baudribosc, Regnault de Criquetot, Jean Le Sénéchal, Thomas Hay, écuyer, Rogier de Bréauté, Guillaume de Houdetot, chevalier, Jean de Beaucamp, Maheu de Troye, Madame de Bailleul, Pierre de Grainville, écuyer, Rober de Vaudemont, écuyer, Raoul d’Orival, Rogier Blouet, chevalier, Regnault de Tonneville, chevalier, l’abbé et les religieux de Sainte-Catherine-lès-Rouen, le prieur et les religieux de Longueville, les doyens de chapitre de Notre-Dame de Rouen, l’abbé et les religieux de Saint-Georges-de-Boscherville, l’abbé et les religieux de Fécamp, l’abbé et les religieux de Valmont, etc.

Les charges de la seigneurie sont :
Au chapitre de Caniel, 108 sols de rente ;
Au roi, un fer de lance par an, à offrir le jour de Saint-Jean-Baptiste, dans l’enceinte du château de Rouen, avec trois hommes d’armes et six archers en temps de guerre.

Un siècle plus tard, le 1er mars 1524, un dénombrement détaillé d’une portion de la seigneurie de Cany-Caniel fut dressé, lors de la formation de la baronnie de Caniel, distraite du territoire de l’ancienne seigneurie. Il n’embrasse qu’une vingtaine de paroisses qui en dépendaient, celles seulement sur lesquelles on allait asseoir les revenus de la nouvelle baronnie. Tout incomplet qu’il soit pour cette raison, ce dénombrement est précieux parce qu’il nous fait connaître les modifications que la seigneurie avait subies depuis 1419 .

Les commissaires nommés par le duc Charles d’Alençon, alors seigneur de Cany-Caniel, pour donner le dénombrement et faire l’assiette des revenus de la baronnie de Caniel, furent Michel de Saint-Aignan, procureur général ; René Brinon, conseiller, et Jean Marin, notaire, tous officiers du duché d’Alençon. Ils s’adjoignirent Jean Guilloué, bailli ; Jean Chaillou, vicomte ; Regnault Le Mercier, procureur, et Romain Adrien, lieutenant du Vicomte, tous de la seigneurie de Cany-Caniel ; Jean de l’Osier et Jean Le Cordier, fermiers de la seigneurie.

Nous ne donnerons ici de ce dénombrement que le total des revenus, qui produisaient :
En argent, 417 livres, 7 sols 8 deniers ob.,
chapons 338 et un tiers
gelines, 43 et demie,
oies, 27 et demie,
froment, 15 boisseaux,
orge, 299 mines et 3 boisseaux,
avoine, 448 boisseaux,
journée d’hommes, 38,
œufs, 1268 et demi
cire, une livre et demie,
poivre, une once,
fouaches ou pains blancs, 4

Il faut ajouter à ces revenus :
les amendes, 40 livres,
les reliefs et treizièmes, 40 livres,
les gardes de sous-âge ou mineurs, 5 livres,
le droit de fouage, 13 livres, 6 sols et 8 deniers.

Ce dénombrement devait servir à asseoir, sur les 20 paroisses qu’il comprenait, les revenus de 600 livres attribués par le duc d’Alençon à la baronnie de Caniel qu’il venait de créer en faveur de son frère bâtard. Les commissaires prirent dans ces 20 paroisses une partie des terres et redevances en argent, et y ajoutèrent quelques redevances d’autre nature. ces dernières furent évaluées en deniers, à raison de :
3 sols, 4 deniers le boisseau de froment,
15 deniers le boisseau d’avoine,
21 deniers le boisseau d’orge,
2 sols un chapon,
12 deniers une géline,
2 sols et 6 deniers une oie,
4 sols et 2 deniers un cent d’œufs,
3 sols pour une journée d’homme en août.

On forma ainsi les 600 livres de rente de la nouvelle baronnie, les revenus de la seigneurie de Cany-Caniel se trouvant diminués d’autant.
Un dénombrement du 1er octobre 1542 fixe certains articles omis ou peu détaillés dans les précédents. Voici les principaux :
Le droit de présentation aux cures d’Anglesqueville-la-Bras-Long, de Flamanville, de Saint-Martin-de-Canville, de la chapelle de la maladrerie de Cany ; le droit de présentation aux cures de Notre-Dame de Canville, Bourville, Baudribosc, Criquetot-sur-Ouville, Robertot, Herville, Cailleville, etc., s’exerçant conditionnellement, savoir, toutes les fois que, les patrons auraient négligé de faire foi et hommage et de payer les droits seigneuriaux au seigneur de Cany ;
Les halles servant au marché du lundi dans le bourg de Cany ; les droits payés dans les trois foires annuelles, l’une à Caniel le jour de la Saint-Gilles, les deux autres dans le bourg de Cany aux fêtes de Saint-Nicolas et de Sainte-Marguerite, rapportant 6 livres ;
Le droit de tabellionnage, valant 11 livres ;
Le geôle ou prison située près des halles, ne rapportant rien ;
Les rentes en argent produisant 500 livres ;
Les redevances en grains et en volailles sont augmentées notablement ;
Le seigneur d’Ouville-la-Rivière doit un épervier ;

Aux charges annuelles, il faut ajouter 100 livres dues à l’abbaye de Beaubec, à cause de la chapelle de Caniel, et un muid de blé pour le chapelain de Saint-Thibaud sur le grand moulin de Cany.

La partie la plus intéressante de ce dénombrement de 1542 est le détail des droits d’honneur et de juridiction de la seigneurie : " Ladite châtellenie, terre et seigneurie à juridiction haute, moyenne et basse, ressortissant nuement en la cour du Parlement de Rouen, et aussi juridiction ordinaire, à savoir, pleds de quinzaine en quinzaine, assises de six semaines en six semaines, avec droits de visitation, afférages, tant de vins, cidres et toutes autres vendues et exposées en vente par ladite châtellenie, et toutes autres rentes, cens, droits de tenures tant en fiefs qu’arrière-fiefs, vavassories nobles, etc. "

La seigneurie de Cany-Caniel est affermée, à la même époque, à Jean Piart, toutes charges déduites, pour la somme de 362 livres 10 sols tournois avec les droits seigneuriaux.
Environ 30 ans plus tard, le 15 juillet 1570, le bail de la même seigneurie est accordé à Jacques Simon, sieur de la Haye, moyennant 2 600 livres.
Un autre bail du 7 octobre 1616 est concédé pour 9 ans à Jacques Simon, moyennant 2 600 livres.
Enfin nouveau bail, du 4 août 1636, en faveur de Jean du Teurtre, pour 1 600 livres, non comprises les prévôtés de Veauville, Limanville et Drosay.

Pierre Le Marinier, qui réunit dans sa main Cany-Caniel, Cany-Barville et la baronnie de Caniel, rendit aveu de ces trois seigneuries le 26 novembre 1660 et après lui, son fils Balthazar, le 2 avril 1666.

Les modifications apportées à la seigneurie ne sont pas aussi amplement indiquées dans ces aveux que dans la déclaration présentée par ce dernier le 3 janvier 1678, et surtout que dans l’aveu et dénombrement de Nicolas Balthazar, son fils, du 27 août 1700 .

Nous allons analyser ce dernier document, qui nous donne la consistance de la seigneurie de Cany au commencement du XVIIIe siècle.
DROITE DE PATRONAGE, absolu dans les paroisses de Saint-Martin de Canville, Saint-Martin de Cany, chapelles Saint-Thibaud de Cany et de Saint-Gilles de Caniel ; conditionnel sur les paroisses d’Anglesqueville, Flamanville, Bourville, Baudribosc, Ouville-l’Abbaye, Criquetot-sur-Ouville, Robertot, Herville, Cailleville, Harcanville, Auffay, Hotot-Lauvray, Autigny, Berreville, Sainte-Colombe, Benesville, Angiens, Drosay, Ocqueville, Amfreville, etc.
FIEFS, sis dans un grand nombre de paroisses dont on a donné la liste plus haut.
DROITS SEIGNEURIAUX ; fouages de trois ans en trois ans ; les halles, les marchés et les quatre foires de Cany, au lundi de Quasimodo, aux fêtes de Saint-Barnabé, de Sainte-Marguerite et de Saint-Simon et Saint-Jude ; droits de coutumes, de poids, aunage et jauge ; haute justice, moyenne et basse ; pleds et assises d’héritages à Cany et à Canville ; pleds de meubles à Cany, Canville et Doudeville ; assises à Cany toutes les six semaines ; nommination de bailli ; appels relevant nuement du Parlement de Rouen ; amendes, greffes, afférage et mesurage de vins et cidres ; tabellionnage, cohue, maison de geôle et prison à Cany ; colombier, moulin à Cany ; garenne à poisson, etc.
DOMAINE NON FIEFFÉ : à Cany, le manoir seigneurial, plusieurs maisons et pièces de terre ; à Caniel, le château en ruine, plusieurs terres ; à Sasseville et Touffrainville, terres et bruyères ; à Canville, terres et prés.
RENTES, en argent, grains, œufs, oiseaux, corvées, poivre, cire, chapeau de roses, épervier, gants, éperons, etc.
VAVASSORIES NOBLES, relevant de la baronnie et haute justice de Cany, et possédées par des gentilhommes dont la déclaration de 1678 nous donne les noms :
Sieur du Tot-Beaunay, à Ocqueville ;
Marquis de Saint-Saens, bailli de Caux, à Ocqueville ;
Sieur de Crasville-Miffant, à Crasville-la-Mallet ;
Comte de Bréauté, à Cailleville ;
Marquis d’Houdetot, à Herville ;
Sieur d’Auffy, à Herville ;
Sieur de Drosay d’Orival, à Drosay ;
Sieur de Sainte-Colombe, à Sainte-Colombe ;
Sieur Toustain, conseiller au Parlement de Rouen, à Anglesqueville, Héberville, Fultot et Doudeville ;
Sieur de Hotot-Lauvray, à Hotot
Sieur de Louvres, à Angiens ;
Sieur de Clercy, à Angiens ;
Sieur de Manneville, à Autigny ;
Sieur de Gelleville, conseiller au Parlement de Rouen, à Bourville ;
Marquis de Houdetot, à Robertot et Amfreville ;
Sieur d’Harcanville, à Harcanville ;
Sieur de Villers, à Gonseville et Fultot ;
Sieur de Varengeville, à Canville et Doudeville ;
Baronne de Montenay, à Canville ;
Sieur de Benesville, conseiller en la cour des aides de Normandie, à Benesville ;
Demoiselle Lucas, à Benesville ;
Sieur du Buisson, maître des comptes à Paris, à Yvecrique ;
Sieur président d’Estalleville, à Estalleville
Sieur président de Fumechon, à Ouville-l’Abbaye et Criquetot-sur-Ouville ;
Sieur de Baudribosc, à Baudribosc ;
Sieur Adveuille, à Ouville-le-Rivière ;
Sieur de Lanquetot d’Aupegard, à Offranville ;
Marquis de la Mailleraye, à Berreville.

Depuis 1700, plusieurs annexions ont été faites au domaine de Cany par des mariages et des acquisitions.

C’est ainsi que nous trouvons qu’en 1789 , Anne-Louis-Roger de Becdelièvre, seigneur de Cany et d’Hocqueville, possédait les châtellenies de Grainville-la-Teinturière, de Nestanville-sous-Longueville, de Criquetot, les seigneuries de Brumare, Prêtreval, Hattenville, Carville, Baigneville, Gasquerel, Saint-Wast-Dieppedalle, Grosménil, Catteville, Ocqueville, Flamanville, Crasville-la-Mallet, etc. Après sa mort, ses terres furent partagées entre ses deux filles, Armande et Henriette de Becdelièvre. L’aînée eut Cany, Fontaine-le-Dun, Englesqueville-la-Bras-Long, Bourville, Héberville, etc. ; la cadette, Claville, Oudainville, Bertreville, etc.

Armande de Becdelièvre, mariée au comte de Montmorency-Luxembourg, et dame de Cany, laissa cette terre en héritage à ses deux fils, dont l’aîné, Anne-Christian de Montmorency-Luxembourg, fut seul marié et eut deux filles qui se partagèrent la terre de Cany et ses dépendances.


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